La digue en terre battue, structure conversationniste à promouvoir dans le traitement des ravines

Tout le monde s’accorde à reconnaitre aujourd’hui l’acuité des problèmes relatifs à la conservation de sol en Haïti en général et dans le Nord-Ouest en particulier. L’histoire des pratiques paysannes  dans les campagnes haïtiennes  s’est manifestée par une destruction progressive et considérable  du couvert arbustif et arboré, destinée à élargir les surfaces cultivées  et satisfaire les besoins d’ une population sans cesse croissante et sous équipée   : abattis –brûlis pour la mise en culture de nouvelles terres , coupes de bois pour la construction et les besoins énergétiques (bois de feu, charbon de bois ….) réduction des surfaces en jachère et diminution des friches, surpâturage des terres de parcours (‘’raks’’). Suite à ces destructions, on observe de nos jours une fragilisation très prononcée des écosystèmes dont la sensibilité était déjà très accusée du fait des conditions naturelles, tropicales et montagneuses. Cette fragilisation des écosystèmes se traduit notamment par une érosion accélérée des sols sous de multiples formes : érosion en nappes et en griffes, érosion linéaire, sapement de berges, affaissement de terrains etc. A quoi s’ajoutent fréquemment des pertes en eau du fait des ruissellements, la faible recharge des nappes phréatiques dont le niveau ne cesse de baisser et des problèmes graves de salinisation des sols.

La gravité des problèmes a incité ADEMA à réaliser depuis quelques années des interventions dans le domaine de la conservation de sols et de l’eau à travers son programme de sécurité alimentaire.  

 

Elle se propose d’agir sur ses conséquences immédiates et ses causes profondes en mettant les paysans au cœur de la problématique à résoudre. En effet, l’expérience de nombreux projets antérieurs de même nature montre qu’il ne saurait y avoir de véritable défense et restauration des sols sans une authentique participation paysanne, ce qui suppose que les solutions envisagées doivent être directement et rapidement productives afin que les agriculteurs y trouvent de quoi satisfaire   leurs intérêts immédiats et pas seulement à long terme.

Les interventions relatives à la gestion conservatoire des eaux et des sols sont conçues de façon à accroitre la productivité et le niveau de vie des paysans bénéficiaires. Elles sont réalisées au niveau des deux unités géomorphologiques : versants et ravines mais ces dernières sont privilégiées   en raison du fait qu’elles constituent une fois aménagées de petits oasis propices à l’intensification par rapport aux accumulations subséquentes d’alluvions et de matières organiques.     

Mise en place de digue en terre battue à Zabette (localité de la 3ème section communale de Baie-de-Henne dans le cadre du projet R2D2 financé par l'Agence Française de Développement.

Le traitement des ravines est réalisé à partir de digues, structures conversationnistes en terre battue, construites perpendiculairement par rapport à leur axe d’écoulement. Elle est constituée de matériaux tout venants à partir des déblais collectés dans le fond de la ravine. Leur longueur est variable, leur hauteur varie de   2 à 3 mètres et la largeur de leur crête atteint 3 mètres environ. La crête de la digue est revêtue d’une pierrée pour empêcher les affouillements dus aux précipitations. Les talus amont et aval de la digue sont protégés par une végétation enherbée faite de graminées locales. La cuvette ou plateforme de plantation est située dans l’axe de drainage, en amont de la digue elle porte l’eau de retenue qui suivant les précipitations et le niveau des crues peut durer jusqu’à une dizaine de jours. Dans la réalité du bas Nord-Ouest la réalisation de ces digues aux fins de conservation de l’eau ou d’irrigation par immersion représente un axe de développement idéal dans la mesure où la ressource en eau constitue le principal élément limitant de l’agriculture.

La présence des digues entraine des niches écologiques favorables au développement des cultures. Tel que témoigné par les agriculteurs ayant bénéficié de ces types de travaux, ils ont entrainé une augmentation substantielle de la production agricole et l’amélioration de leurs revenus. Un agriculteur vivant dans la localité de Bassin Hardy et bénéficiaire de trois digues a pu mettre en place une bananeraie de 1000 bananiers et un verger de 300 papayers. Au bout d’une année il a pu réaliser des chiffres de vente de l’ordre de 100,000 gourdes. Tenant compte de la rentabilité immédiate des sites aménagés avec ces structures, de leur durabilité et de leur possible reproduction par les paysans eux-mêmes, elles méritent d’être prises en compte dans tout projet de traitement de ravines aux fins de production agricole.  

Clother GENEUS

 Ing. Agronome

Responsable du programme Sécurité Alimentaire/ADEMA

 

Source : Pale...Aji, NO 8, Mars 2021, Page 2